Du travail encore du travail

Finalement, le tourisme allait attendre. Elle aurait l'air maligne à expliquer à son auditoire que non, ma conférence n'est pas tout à fait prête parce que vous comprenez, Los Angeles est une si belle ville que j'ai préféré glander dans les rues plutôt que d'effectuer mon travail.
Elle s'installa sur un banc libre et y étala ses chemises, documents, téléphone et ordinateur portable, ainsi qu'une bouteille d'eau. Après avoir vérifié l'heure locale, elle synchronisa son horloge interne pour ne pas s'inquiéter du temps qui passe avant 4 bonnes heures

"Ça m'laisse le temps de rentrer tranquillement à l'hôtel avant qu'il fasse noir".

Elle se mit au travail, sans stress mais avec la célérité de ceux qui savent parfaitement ou ils vont et n'hésitent jamais. Déjà plus d'une heure qu'elle était plongé dans ses graphiques, spectroscopies et rapports fournis par des confrères sur un quelconque phénomène céleste ; griffonnant ici une note, là une correction, pianotant d'une main sur le clavier et parcourant la longue analyse d'une sans doute passionnante expérience de l'autre, on aurait dit de loin une machine, imperturbable aussi bien aux cris d'enfants se chamaillant qu'à la requête d'un SDF puant la vieille vinâsse.

Et puis sans crier gare, le vent se leva. Une mère se retourna, outrée qu'une dame d'apparence et d'âge aussi respectable que Dori puisse proférer devant des enfants des injures aussi crûes.

Elle se jeta à la poursuite d'une liasse de documents après avoir précipitamment coincé le reste de sa paperasse sous l'ordinateur. Elle n'eût pas à courir très longtemps.

[Note HRP : ce post sera précédé d'un autre chronologiquement (et scénaristiquement...), que j'écrirai plus tard :b]
edit : En provenance du Centre de Recherches - aka la succursale locale - du Talamasca...

Rechercher des documents volés, rechercher des documents volés... ils en avaient de bonnes, au Talamasca ! Même si Vayne avait un don certain pour tout ce qui était archives, il n'était pas non plus un chien de chasse. Autant aller chercher une aiguille dans une botte de foin !

Grommelant entre ses dents, Vayne pénétra dans Griffith Park sans but particulier autre que celui de trouver un coin tranquille pour réfléchir à toutes ces histoires. L'endroit était toujours aussi fréquenté, en bien comme en mal, et le documentaliste se prit à souhaiter qu'il fasse nuit et qu'il n'y ait que quelques couples isolés dans les parages. Au moins, il aurait été un peu plus tranquille.

Il trouva un coin à l'ombre - diurne ou pas, un documentaliste, ça vit dans l'ombre - et s'assit le dos contre un arbre, observant l'agitation ambiante d'un oeil sombre. Où Diable allait-il pouvoir trouver la moindre information sur un vol qui avait eu lieu alors qu'il avait le dos tourné ? Un de ses subordonnés, un petit jeune tout gentillet qui était arrivé moins de six moins plus tôt, avait disparu en même temps que les dits documents, et cela ne présageait rien de bon. En fait, il n'y avait que deux possibilités, soit le jeune homme était *SCHPAFF!*

Le cours des pensées de Vayne fut abruptement interrompu par l'atterrissage soudain d'un certain nombre de feuillets sur sa modeste personne. Modérément surpris - le bref coup de vent qui venait de faire bruisser les feuilles de "son" arbre n'y était certainement pas étranger - il saisit les dits feuillets d'une main lasse et y jeta un coup d'oeil désabusé. Des chiffres, des graphiques... Rien d'intéressant à première vue.

Levant les yeux de sa trouvaille, il vit une femme entre deux âges qui se portait à sa rencontre, et un peu plus loin, un ordinateur portable laissé à portée de convoitise.

- Est ce vraiment prudent d'abandonner un ordinateur pour quelques rangées de chiffres ?, dit-il à la femme quand celle-ci parvint à sa hauteur.

D'un regard à la fois blasé de ce à quoi l'homme réduisait son travail et étonnée qu'il envisage qu'on la vole en plein jour devant une dizaine de témoins, Amélie agrippa les documents en échange d'un froid mais respectueux "merci". Mais il ne lâcha pas prise, et la fixa droit dans les yeux en silence.

Passant en revue les choix à sa disposition, elle écarta l'idée de lui casser le nez à coup de boule et opta pour le sarcasme le plus abject qu'elle puisse produire :

- "Je vous remercie vivement et sincèrement d'avoir pris grand soin de mes quelques rangées de chiffres, que j'aimerais maintenant récupérer avant qu'un quelconque malandrin ne profite de mon absence pour subtiliser frauduleusement l'ordinateur que vous nommassiez quelques instants auparavant."

Suite à quoi elle tira d'un coup sec, récupéra son bien et tourna les talons pour se remettre au travail.

Vayne contempla le dos de la femme qui s'éloignait, hésitant entre reprendre ses réflexions là où il les avait laissées, ou se pencher sur le cas de la femme - qu'il aurait peut être, en un autre temps et d'autres circonstances, qualifiée de vieille truie, mais il avait assurément passé l'âge - puis se leva, époussetant ses vêtements pour en ôter l'herbe, et remontant ses lunettes fumées sur son nez, afin de dissimuler l'éclat carmin de ses yeux au gamin qui le reluquait depuis quelques secondes.

Vaguement intéressé par les propos hautains de la femme, il la rejoignit d'un pas tranquille, et se pencha par dessus le dossier du banc, pour voir que l'écran de l'ordinateur affichait ce qui ressemblait à une carte du ciel.

- Loin de moi l'idée de vous déranger, mais je dois vous avouer que je n'ai jamais eu l'occasion d'entendre des propos aussi alambiqués de la part d'une dame. Vous avez mangé un dictionnaire ?

Bref silence.

- ... Et il vous est resté sur l'estomac, j'imagine...

Près de l'arbre que Vayne venait de quitter, le morpion continuait de les regarder fixement, comme s'il avait le vague espoir d'assister à quelque explosion sonore entre le grand type et la mégère.

- "Il can che vuol mordere non abbaia !, lâcha-t-elle d'une voix forte avant de se retourner et d'ajouter en lui révélant un sourire franc, "vous devez faire le bonheur des femmes si votre répartie est aussi lente à venir que le reste. Désolée pour tout à l'heure, j'ai tendance à oublier que ce sur quoi je travaille semble aussi incompréhensible qu'inutile pour la plupart des gens. Dori Ranzenhofer, je suis astrophysicienne".

Tandis qu'elle lui serrait la main, elle sentait qu'il allait lui rétorquer "astrofiquoi ?" et s'empressa d'ajouter "J'étudie les planètes, les étoiles, les comètes et la manière dont ces objets réagissent les uns par rapport aux autres".

Elle connaissait ce type d'individu. Si elle l'ignorait ou l'envoyait paître, elle ne s'en débarrasserait que par la violence physique. Non pas que l'idée la répugnait, mais cela allait lui attirer des ennuis qui retarderaient d'autant son planning, et elle se dit qu'elle gagnerait du temps à se "réconcilier" avec ce rital qui se la jouait. De plus, il y avait toujours le risque qu'il se sente humilié et ne lâche l'affaire qu'une fois inconscient. Elle ne souhaitait pas en arriver à cette extrémité.

Et puis, quelques minutes de pause lui permettraient de reprendre plus sereinement le travail ensuite...

L'enfant qui les avait observé s'en alla, visiblement déçu de la tournure des évènements.



[HRP : le proverbe signifie "le chien qui veut mordre n'aboie pas"]

Bon. Demi tour comportemental radical. Vayne ne s'attendait à rien de particulier, mais la dame était relativement intéressante. Après le mode "va chier", elle avait opté pour le mode "enchantée". Nul doute que le mioche avait trouvé ça déstabilisant, car pendant que Vayne serrait la main de l'astrophysicienne, il fit demi tour et rejoignit des activités plus palpitantes.

- Vayne Tuesli, fit laconiquement l'italien. Ca m'a l'air passionnant, tout ça. Pardonnez mon inculture, mais si je ne me trompe pas, ça n'a rien à voir avec l'astrologie, c'est bien ça ?

Il fit un geste distrait, comme pour écarter toute idée d'une mauvaise plaisanterie, puis reprit, très sérieusement :

- Vous comprenez, on m'a demandé de retrouver une aiguille dans une botte de foin, et tant qu'à faire, je devrais peut être aller m'en remettre au prochain charlatan que je croise, ça marcherait peut être. Quoi que trouver une planète dans le ciel, ça doit être compliqué aussi...

Vayne n'espérait aucune réponse de la physicienne, pas plus qu'il n'en aurait attendu du chauffeur de taxi ou du vendeur de glaces du parc. C'était sa façon à lui de réfléchir tout haut, car il existait une infime probabilité que des oreilles indiscrètes ne puissent s'empêcher de proférer des paroles indiscrètes et ne déclenchent l'idée révélatrice.

Ceci dit, ça n'était jamais arrivé à Vayne, il ne se basait que sur les affirmations de ses collègues du Talamasca, qui adoraient tout ce qui avait trait au hasard comme au surnaturel.

- Le hasard, le hasard, marmonna-t-il entre ses dents, brusquement agacé. C'est pas en pariant sur la chance qu'on s'en sortira mieux !

Comment souvent lorsqu'il se laissait aller à ses pensées, il avait complètement zappé son environnement immédiat.

- Hé bien bonne chance, conclut-elle d'un regard mi-figue mi-raisin. Je ne pense pas pouvoir vous aider, et puis j'ai beaucoup de travail moi aussi. Ravie de vous avoir rencontré, ajouta-t-elle pour la forme.

Suite à quoi elle se replongea imperturbablement dans ses graphiques et ses notes. Trois heures plus tard (il était donc un peu plus de 19h) elle replia son bazar, satisfaite de ce qu'elle avait produit, et se dirigea tranquillement vers la sortie.

"Plus qu'à trouver un taxi". Elle fouilla machinalement ses poches et y retrouva l'adresse de l'hôtel ou elle avait réservé. "Radisson hotel, 3540 Saint Figueroa street. J'espère que leur bouffe est correcte...".

Pas de taxi aux abords de la sortie du parc. Elle s'engagea sur le boulevard Los Feliz, à l'affut d'une voiture jaune.


[La suite ici : Conférence]