Boulot fini, début d'ennuis

[allez, c'est parti! Topic ouvert à tous. ^^]

Il était encore resté tard, à la librairie. La patronne avait fini par le mettre dehors pour rentrer chez elle, souhaitant une bonne soirée à son employé qu’elle reverrait le lendemain matin. Gabriel enfilait son manteau noir, sur le trottoir en face de la boutique. Une fois ce ci fait, il s’alluma une clope et inspira une longue bouffée de nicotine. A cette heure sombre, les passants étaient bien rares dans le quartier. Il faut dire qu’il n’était pas bien prudent de se promener seul dans ces rues une fois le soleil disparu. Gabriel, lui, ne ressentait aucune peur. Il avait toujours vécu dans de mauvais quartiers, et puis… on ne pouvait pas vraiment dire qu’il était seul. Il fourra les mains dans ses poches de pantalon et se décida enfin à prendre le chemin de la maison. Il marchait sans se presser, profitant de l’air frais bien que pollué de la cité.
Il eut un petit frisson et fronça les sourcils, irrité.

« 'Manquait plus que ça… » Grogna-t-il, faisant légèrement frémir sa cigarette.

Sans même avoir besoin de se tourner, il avait perçu la présence insistante d’un esprit à ses cotés. Encore un qui venait le chercher, intrigué par cette capacité qu’ont certains humains à communiquer avec quelques êtres intangibles. Pourtant, celui-ci en particulier avait mal choisi son moment. D’habitude, Gabriel ignorait ces intrus ou les rejetait tout simplement, mais à cet instant, il sentit la colère monter en lui. Cette présence lui faisait repenser au livre qu’il avait lu récemment, ‘Le voleur de corps‘. Depuis que la vérité lui avait été jetée à la figure, la vieille femme qui habitait en lui s’était faite extrêmement discrète. Cette attitude le perturbait bien plus qu’il n’aurait voulu l’avouer, et ses pas s’accélérèrent sans qu’il y prête attention.
L’esprit avait une ‘voix’ faible et suppliante, pressant cet humain de lui expliquer pourquoi il lui était impossible de parler aux autres humains, il cherchait de l’aide et du réconfort. La vieille femme sentit Gabriel prêt à exploser et lui glissa une légère pensée timide :
*Il n’est pas mauvais, il est juste perdu, c’est…*

« Non mais c’est pas fini oui ?! » S’exclama le jeune homme.
Il prit la clope entre ses doigts et fit quelques mouvements inutiles pour battre l’air.

« Entre celle qui se cache et celui qui ne sait même pas qu’il est mort, ça deviens ridicule ! »
Sa voix était forte et empreinte de colère. Il n’avait aucune intention de se maîtriser, même si l’esprit semblait horriblement choqué. Au contraire, Gabriel se tourna vers l’intrus et continua son apparent monologue :

« Oui, oui, tu es mort, et tu erres encore ici pour je ne sais quelle raison. Mais merde, à la fin, je ne t’ai pas tué, moi, et je n’ai rien demandé, alors si tu pouvais me fiche la paix, ce serait sympa. On a tous des problèmes, même quand on est mort apparemment. Et je ne suis pas le Saint Sauveur que tu espérais, alors va sonner quelqu’un d’autre ! »

La réaction de Gabriel semblait avoir perturbé les deux autres. L’esprit s’écarta lentement alors que la vieille femme remua tout près de son âme siamoise.
*Tu n’as pas le droit d’être si cruel, c’est un enfant !*

Gabriel n’ajouta rien de plus, se contentant de fixer l’esprit resté un peu plus loin. Il souffla de désespoir et murmura finalement, comme pour lui-même :
« Allez, va, tu ne devrais pas rester par ici. Trouve-toi quelqu’un qui pourra t’aider. Moi, je ne peux rien pour toi. »

De l’autre coté de la rue, un passant fixait ce type qui s’énervait contre lui-même, puis finit par baisser les yeux et passer son chemin. Gabriel replaça sa cigarette pour en tirer quelques bouffées, les pieds immobiles sur le trottoir humide. Il sentait la colère disparaître en lui, ne laissant plus qu’une froide douleur dérangeante. Il était encore loin de son chez-lui, mais il n’en avait cure. Les lointains klaxons des voitures, le ronronnement de la ville… Tout était trop calme.

« Allez, reviens par ici, Petite Chose. Reviens-moi. » Murmura-t-il dans un souffle.

Shade avait quitté la villa en toute discrétion, prétextant à sa femme un diner d'affaires afin de s'éclipser un peu plus tôt. Heureusement, Sarah n'était pas femme à se formaliser des absences de son époux. Aimant et respectueux, Shade lui avait toujours porté une attention sans cesse renouvelée, et aimait tendrement sa fille comme sa femme.

Il est intéressant de se pencher sur la situation de Shade. De par sa mentalité toute particulière, l'Ombre mettait un point d'honneur à vivre des vies entières, ou presque. Du jeune adulte au vieil homme, il nouait un cercle de relations, avait femmes et enfants, puis les voyait vieillir, mourir... Alors lui même faisait le choix de s'éteindre en tant qu'incarnation humaine et usait de divers artifices pour que sa mort paraisse normale, et réapparaitre plus tard sous une autre identité, pour récupérer son propre héritage et continuer son oeuvre.

Ce style de vie aurait sans doute paru étrange, voire ennuyeux, à n'importe qui d'autre, mais Shade était pourtant heureux de ce qu'il était. Fidèle à ses principes, il ne s'enorgueillissait pas de sa position et profitait donc de ses longues nuits sans sommeil pour arpenter les rues et venir en aide à ceux qui le nécessitaient. Son apparence de PDG d'une entreprise internationale étant quelque peu contraignante pour ce genre d'opération, il prenait en général d'autres identités.

C'est ce qui amena donc dans cette rue tranquille le jeune photographe Nathan Clives, grand amateur de clichés nocturnes et d'air frais. Il considéra avec amusement l'étrange individu qui s'agitait et parlait tout seul sur le trottoir d'en face puis, constatant que le dit personnage fumait une cigarette, se risqua à traverser la rue pour lui en demander une. Shade ne fumait pas, mais Nathan aimait bien les drogues douces. Fumer était un plaisir qu'il s'autorisait de temps en temps, et c'était un excellent motif pour faire connaissance.

- Excusez-moi, fit-il, auriez vous une cigarette ?

Il faisait confiance à l'incroyable solidarité existant entre fumeurs pour pouvoir faire la conversation avec ce curieux individu.

De nouveau, son esprit vagabondait. Gabriel se perdait entre les failles du néant et celles de son âme double. Il ne vit pas l’homme s’approcher, et entendit sa voix tel un écho lointain en provenance du monde matériel. Il n’avait pas saisi le sens de la phrase, ou plutôt ne chercha-t-il pas à la comprendre car il resta les yeux dans le vide, sans réagir. Pour le coup, le silence retomba dans la rue, jusqu’à ce que la vieille femme remue légèrement. Ce ne fut qu’à ce moment là que Gabriel sembla redescendre de son petit nuage. Il continua pourtant d’ignorer le nouvel arrivant pour ruminer dans sa barbe inexistante :

« T’es vraiment cruelle. »

En effet, son âme siamoise ne s’était encore une fois manifestée qu’à l’arrivée d’un étranger.
Gabriel tourna enfin la tête vers le nouvel arrivant, et le dévisagea à travers le voile de la nuit. Ses yeux se posèrent sur lui, toujours aussi sauvages qu’avec tout inconnu, mais légèrement teintés de tout ces sentiments qui le tenaillaient à ce moment. Un petit retour en arrière dans sa mémoire lui permit de décrypter la phrase de l’inconnu. Il tira une longue bouffée de nicotine tout en fourrant ses mains dans ses poches à la recherche des clopes et d’un briquet.

« T’as de la chance, toi. Il doit m’en rester une ou deux… »

Il sortit donc sa dernière cigarette et la tendit à l’homme, avant de lui proposer le briquet. Il en profita pour jeter un nouveau coup d’œil au visage de l’inconnu. Ils devaient avoir à peu près le même âge, et pourtant Gabriel se sentait plus vieux que lui. Il l’avait tutoyé comme l’aurait fait un aîné.
Il passa une main rapide dans ses cheveux attachés en queue de cheval, afin de ramener vers l’arrière quelques mèches rebelles qui traînaient à ses tempes. Par ce geste, il tentait de calmer ses élans de colère et de mauvaise humeur prêts à se déchaîner à nouveau. Mais rien n’y faisait, il n’arrivait pas à se calmer totalement. Il tira une nouvelle fois sur sa cigarette, alors que son regard se trouva attiré par une forme sombre. L’inconnu portait à son coté une sacoche noire, et Gabriel imagina de suite ce qu’elle pouvait contenir, à la vue de sa forme.

« Tu fais des photos de nuit ? » Demanda-t-il en désignant du menton le petit sac en bandoulière. « Fais attention que dans ce quartier tu ne te le fasse pas voler, ton appareil. Y a pas mal sales types, qui promènent par ici. »

Pendant un bref instant, Nathan Clives oscilla entre l'impression que son vis à vis l'ignorait royalement, et celle qu'il était complètement à l'ouest. Le regard flou de l'homme le convainquit qu'il valait mieux attendre un moment. Patient par nature, Shade - Nathan - profita de l'occasion qui lui était donnée pour observer l'homme. Celui ci dégageait une impression de force mais en même temps semblait possédé par une sorte de désarroi, ou quelque chose de similaire. Les marmonnements qui lui échappaient semblaient être les divagations d'un fou, et Shade décida d'être prudent dans ses échanges avec l'homme. Il s'agissait de ne pas le brusquer.

Finalement, l'homme finit par remarquer le jeune photographe et lui offrit la cigarette convoitée. Nathan ne s'offusqua pas du ton paternel des propos de son vis à vis, il en avait l'habitude. Son apparence juvénile et ses manières vives faisaient penser à un jeune oiseau, sans cesse papillonnant vers de nouvelles aventures. Avec empressement, il remercia l'homme fou - c'était un surnom amusant, songea-t-il par devers lui - et alluma la cigarette. Tandis qu'il tirait une bouffée avec un évident plaisir, l'autre remarqua la sacoche contenant son matériel.

- Tu fais des photos de nuit ? Demanda-t-il en désignant du menton le petit sac en bandoulière. Fais attention que dans ce quartier tu ne te le fasse pas voler, ton appareil. Y a pas mal sales types, qui promènent par ici.

Shade sourit par devers lui. Il ne doutait pas de pouvoir se débarrasser des "sales types". Loin de chercher l'affrontement, il savait s'éclipser avec une aisance et une discrétion qui n'appartenaient qu'à lui et faisait enrager sa secrétaire lorsqu'elle découvrait son bureau vide aux moments les plus critiques (Selon elle. Ceci étant, il l'avait engagée en raison de sa grande efficacité et de sa capacité à s'adapter à toutes les situations. Elle faisait un excellent travail). Posant sa main libre sur sa sacoche, Nathan eu un sourire franc.

- Ne vous en faites pas, j'ai l'habitude. Les photos nocturnes sont très à la mode, à cause des lumières et des contrastes. Mes clichés favoris sont tous faits de nuit.

Il réfléchit un instant, songeant à toutes les fois où, errant dans les rues, l'appareil en bandoulière, il avait attiré l'attention des maquereaux et malfrats divers. Mine de rien, c'était assez fréquent.

- Mais j'avoue qu'il m'est arrivé de me retrouver en mauvaise posture. Heureusement, je cours vite !

Il ponctua sa phrase d'un geste sensé représenter la vitesse, puis prit une nouvelle bouffée de sa cigarette. L'homme l'intriguait toujours. S'il se dévoilait davantage, peut être irait-il un peu plus loin dans la prise de connaissance...

Gabriel savait pertinemment que ses monologues constants le faisaient passer pour un dingue, mais il ne s’en souciait guère. Il avait toujours préféré parler à la vieille femme d’une voix intelligible. Les premiers temps, il lui semblait qu’elle aimait écouter le son qui sortait de -sa- gorge. Elle adorait voir, toucher, sentir, goûter et bien sûr, entendre aussi. Maintenant, c’était plus une habitude qu’autre chose.

L’inconnu tira une bouffée de nicotine avant de répondre à la question de Gabriel par un grand sourire. Ce dernier haussa légèrement un sourcil surpris. Même sous cette lune à demi montrée se promenaient des visages comme celui-ci, apparemment. En général, Gabriel ne trouvait sur sa route que de bons emmerdeurs, morts ou vifs, à cette heure avancée. Ce changement n’était pas pour déplaire à notre duo siamois, qui avait bien besoin de se détendre.
Face à la dernière réplique de son interlocuteur, Gabriel ne put réprimer un léger sourire.

Il était vrai que Santa Monica, de nuit, était bien différente du centre de Los Angeles. Si la grande cité était éclairée de mille feux dissipant l’obscurité nocturne, la Sainte petite bourgade se contentait de quelques lampadaires et enseignes lumineuses pour briller sous les étoiles. Dans ce quartier en tout cas, les lumières artificielles n’étaient pas trop présentes, laissant sa domination à la pâle lueur lunaire.

« Tu connais bien le quartier ? » Demanda Gabriel d’une voix moins rauque qu’avant.
« C’est vrai qu’il y a de jolies vues, dans le coin. »

Eh oui, ce n’était que maintenant qu’il parlait photographie que l’homme revoyait son quartier à travers un regard différent. Il ne voyait plus des murs, des rues et des carrefours, mais un ensemble de formes et de lumières. Sans l’intervention du jeune inconnu, peut-être n’aurait-il jamais fait vraiment attention à ce qui l’entourait tous les jours, ou au moins ne les aurait-il jamais vues ainsi. Ce n’était pas une nuit si ennuyeuse après tout, et Gabriel n’était pas pressé de rentrer à la maison. Personne ne l’y attendait, il était libre de sortir quand bon lui semblait.

Il y avait quelque chose, chez ce type aux lunettes, qui perturbait Shade. Rien de particulièrement traumatisant, mais il avait la sensation d'une autre présence, près d'ici. Tellement faible qu'il avait du mal à s'en assurer. Peut être l'homme était-il schizophrène, et ça expliquait son comportement étrange.

Mais pour l'heure, le dit individu semblait être enclin à la discussion, autant en profiter. Face à la bonne humeur de Nathan, il semblait perdre un peu de cet aspect sombre qu'il avait au départ. Cela faisait plaisir.

La question de l'homme aux lunettes le laissa cependant perplexe. Connaître le quartier ? S'il avait répondu sans réfléchir, il aurait dit oui, mais...

- En fait, si on y réfléchit, je ne connais pas toute la zone... Vous savez, quand on cherche des clichés intéressants, on voit toutes sortes de choses. Chaque jour je découvre de nouveaux trucs. Même dans les quartiers les plus sinistres, je peux dégoter des clichés superbes. C'est une boite à surprises que j'ouvre en appuyant sur le déclencheur.

Il appuyait ses paroles de gestes vifs et légers. Nathan était tout en gestes et en mouvements, presque incapable de rester en place. C'était son humeur naturelle qui faisait de lui un moineau curieux et sans cesse sautillant d'une source d'intérêt à l'autre. Il ne changeait d'attitude que lorsqu'il prenait une photo ou qu'il observait avec attention une situation susceptible de lui fournir LE cliché...

Bon acteur, Shade n'hésitait pas à jouer des personnages à la personnalité radicalement opposée à la sienne. Il avait noté qu'une mentalité éveillée et amicale permettait souvent de sortir les personnes sombres d'un mutisme que quiconque n'aurait pu ébranler. La méthode n'était pas infaillible, mais elle était une des meilleures pour obtenir informations et contacts à travers la ville, l'autre option étant d'être une femme. Et belle si possible.

S'alignant toujours dans son rôle, Shade tendit la main vers l'homme, tout sourire.
- Je m'appelle Nathan, Nathan Clives. Je suis photographe, comme vous pouvez le deviner. Ravi de vous rencontrer.

A ce niveau, Shade connaissait plusieurs types de réactions, allant de l'ignorance totale de la main tendue à une exubérance frisant l'état de manque. Il était curieux de voir comment celui ci allait réagir.

Nathan eut un mouvement de recul quand l'attitude de Gabriel s'inversa brusquement. Ce n'était pas tout à fait ce à quoi il s'attendait. Cet homme avait décidément quelque chose qui ne tournait pas rond.

- J'habite en banlieue, dit-il d'une voix douce. Je me promène de ci de là pour prendre des photos, quel que soit l'endroit.

Il s'abstint de répondre aux autres questions. Non pas qu'il ne voulût pas y répondre, mais plutôt pour faire comprendre à l'autre qu'on n'attirait pas les mouches avec du vinaigre. Ce Gabriel semblait malade, à la fois de l'esprit et du corps. Ce n'était qu'une impression diffuse, mais elle était bien présente, et Shade s'en inquiétait. Cet homme avait-il un lien avec les Surnaturels ? Cela expliquerait le fait que son pas l'ait mené jusqu'à lui. D'un autre côté, hormis son comportement étrange, il n'avait rien de particulièrement suspect.

- Que vous arrive-t-il, monsieur Deavon ? fit-il d'un ton apaisant. Vous aurais-je offensé ? Je suis désolé, j'ai peut être été trop direct ?

Nathan recula d’un pas, ou ce fut tout du moins ce que perçut Gabriel. La vieille femme hésitait à bouger, cherchant à apaiser la colère qu’elle sentait bouillonner aux creux de son estomac. Elle savait pourtant qu’au moindre geste, son double risquait de réagir totalement à l’inverse de ce qu’elle aurait souhaité. A travers les yeux de Gabriel, elle lisait sur le visage du jeune homme son incompréhension et sa surprise. Elle avait peur de rejeter encore une personne qui ne leur voulait apparemment aucun mal.

L’âme masculine de ce corps torturé cherchait à se calmer un minimum en inspirant des bouffées de nicotine. Pour sûr, il n’allait pas vivre bien vieux et souffrirait beaucoup, entre le tabac et la dualité de son esprit. Seulement, il s’était fait à cette idée et poursuivait sa petite vie plus ou moins tranquille.
L’homme face à lui répondit à l’une de ses questions brutales puis s’excusa d’avoir été trop direct. Pourtant, il n’avait aucune raison de s’excuser car la faute revenait entièrement à Gabriel. Ce dernier ouvrit la bouche pour lui faire part de cela sur le même ton brusque qu’il avait déjà usé, mais aucun son ne sortit de sa gorge. Il sentit une douleur aiguë lui déchirer l’estomac et il se plia en deux en un geste instinctif, laissant échapper un petit cri. D’un seul coup, Gabriel put sentir en lui une colère différente de celle qu’il entretenait déjà. Elle appartenait à la vieille femme qui ressurgissait soudain plus présente que jamais. Elle souffrait elle-même de la douleur qu’elle infligeait, mais ne pouvait rester passive plus longtemps.

*Tu n’as pas le droit, il n’est pour rien dans cette histoire. Cesse de faire l’enfant !* Grogna-t-elle à son âme siamoise. Elle agissait comme pour réprimander un gamin, et n’aurait pas trouvé d’autre meilleur moyen d’intervenir.

Elle se calma lentement, et Gabriel resta plié en deux, guettant la disparition progressive de sa douleur. Il vit sa clope, tombée à terre, et se rappela alors qu’il n’en avait plus. Il devrait s’en passer jusqu’au matin… Fichtre, que cette soirée était merveilleuse. Ses muscles contractés se décrispèrent pour le laisser se redresser.

« Ah » Souffla-t-il « Enfin… »

Il pouvait la sentir tout près de lui, son âme seconde, et ce simple ‘contact’ lui fit oublier toute sa colère. Enfin il ne se sentait plus terriblement seul et vide. Et même si la douleur était le prix à payer, il aurait recommencé s’il l’avait fallut. Ses yeux se posèrent sur le photographe, une lueur de tranquillité flottant dans son regard. Il respira encore pleinement durant quelques secondes avant de parler :

« Je suis vraiment désolé. »

Shade était un homme pragmatique, mais avait beaucoup de mal à exprimer ses sentiments, la plupart de ses émotions affichées étaient factices, car l'homme s'émouvait peu. Il en avait trop vu et trop vécu pour compatir à la souffrance d'autrui. Il avait perdu trop souvent épouse et enfants, des vies entières à vivre en tant qu'humain, pour vouloir subir la souffrance d'autrui. Cependant, il ne siéait pas au personnage de Nathan, altruiste convaincu, de rester immobile pendant qu'un homme se tordait de douleur sous ses yeux.

Avec effarement, Nathan se pencha sur l'homme plié en deux, l'air sincèrement inquiet. Incapable de lui venir en aide, il resta auprès de lui, cherchant à le soutenir moralement, jusqu'à ce que la crise - mais crise de quoi ? - soit passée. Celle ci finit effectivement par se calmer, et l'humeur de Gabriel par la même occasion.

- Ah, souffla Gabriel. Enfin.

Nathan eut la présence d'esprit de ne pas questionner l'homme sur ses monologues. Il en saurait plus le moment voulu. Ou bien il n'en saurait rien. Mais il savait que la patience payait toujours. L'autre leva les yeux sur lui, et il semblait définitivement bien plus calme qu'un instant plus tôt :

- Je suis vraiment désolé.

Ravi de ce changement d'attitude, Nathan aida Grabriel à se redresser, et le fit s'appuyer contre le mur le plus proche, faute de mieux.

- Ne vous en faites pas, fit il en réponse aux excuses de Gabriel. J'ai un ami qui a des sautes d'humeur effroyables mais qui est adorable au fond. Ca va mieux ?

L'homme fit signe que oui. Après un bref instant de réflexion, Nathan choisit de jouer la carte de la sincérité. Cela vexerait sans doute son interlocuteur, mais il n'était plus à cela près.

- Vous savez, ce qui m'a attiré vers vous, c'est cette aura de mystère qui vous entoure. Non, je m'exprime mal. Pour parler simplement, vous parliez dans le vide, et je m'interrogeais sur vous. De plus, vous ne semblez pas en bonne santé. N'auriez vous pas... - il hésita, se doutant bien qu'il allait metre Gabriel en colère - ... besoin d'aide ?

Gabriel se laissa aller contre la dureté d’un mur inconnu, finissant de reprendre son souffle. La douleur était passée, ne restait plus que son souvenir. Lorsque les yeux de l’homme se posèrent sur le photographe, il remarqua que ce dernier était venu à son secours, qu’il l’avait entraîné tout contre ce mur, support de sa faiblesse. Les paroles que prononça Nathan eurent le don de surprendre son interlocuteur. Ainsi cet ami dont il parlait était adorable malgré son caractère lunatique ? Le rapprochement avec l’attitude de Gabriel était aisé, quand on repensait à son état d’esprit quelques secondes avant sa ‘crise’. Pourtant, l’assistant libraire ne se trouvait absolument rien d’adorable. Un sourire amusé berça ses lèvres, tant la vieille femme trouvait cette idée amusante. Ses yeux pétillèrent de malice avant que Gabriel ne secoue la tête pour se reprendre.

« Hey, je ne suis pas… ‘adorable’ » Répliqua-t-il dans un souffle, sans aucune animosité tant il était heureux du retour de sa partie seconde.

Face à lui, Nathan sembla hésiter un court instant avant de reprendre la parole. Le silence retomba bientôt devant le visage étonné de Gabriel. Qui pouvait prévoir la façon dont il aurait réagi en d’autres circonstances ? Mais à cet instant, bien peu de choses auraient pu le mettre en colère. La malice de leurs deux âmes liées refit surface alors qu’il ne pouvait retenir un petit rire amusé. Il se décolla du mur et mit les mains dans les poches, penchant légèrement la tête pour regarder Nathan.

« Et tu penses que tu pourrais m’aider, toi ? » Il parlait d’un ton doux, comme à un enfant, comme s’il connaissait déjà la réponse à sa propre question. Il reprit avec une mine légèrement vexée : « J’ai l’air si étrange que ça ? »

Taquiner les gens était un jeu apprécié par ces deux âmes pourtant si différentes, et ce simple divertissement faisait rajeunir la vieille femme jusqu’à cette époque lointaine où le timbre sec de ses petits talons aiguilles foulaient le pavé de son lieu de travail. Elle se sentait si bien, dans ces moments-là où elle se retrouvait jeune femme, que Gabriel ne pouvait qu’apprécier à son tour.
Après tout, c’était bien la première fois qu’on lui proposait de l’aide, et surtout de façon si soudaine. Les deux hommes ne se connaissaient finalement que depuis quelques minutes… C’était ce jeune photographe le plus adorable des deux, pensa Gabriel. Il lui semblait si jeune et frais, il avait toute la vie devant lui.
Ah, voilà qu’il se remettait à parler comme un vieux ! Et pourtant, il n’avait pas tout à fait tord. Il vivrait certainement bien moins longtemps que Nathan. (Et, oh combien cette pensée était véridique, lui-même l’ignorait totalement).

Si étrange que ça ? Shade aurait souri s'il avait été davantage de nature à s'amuser de questions aussi évidentes. Gabriel était bizarre, ça ne faisait pas un pli. Il parlait seul, changeait d'humeur d'un instant à l'autre, se pliait en deux sous l'effet d'une crise d'un mal inconnu. Et qui plus est, la présence ténue que percevait Shade au départ semblait s'être raffermie, et Shade aurait mis sa main à couper qu'elle avait de l'influence sur Gabriel.

Un fantôme, songea-t-il. Pas très puissant, mais qui le hante... Est-ce qu'il en est conscient ?

- Non, dit-il à voix haute, je ne pense pas que je pourrais vous aider. Mais qui ne tente rien n'a rien, et quand je vois un homme se trouver mal devant moi, je n'ai pas l'intention de le laisser mourir, vous comprenez ?

Quelque chose inquiétait Shade. Il n'arrivait pas à mettre le doigt dessus et cela l'ennuyait fortement. De plus, il se faisait tard et Sarah risquait de s'inquiéter s'il ne se décidait pas à rentrer.

Mais il était terriblement tenté par cet homme, qu'il souhaitait mieux connaitre. Il en était quasiment persuadé à présent, il y avait un fantôme à l'intérieur de Gabriel. Il ne comprenait pas exactement comment il pouvait conserver son esprit propre alors qu'il partageait son corps avec une entité différente, mais il devenait clair que c'était là la source de son malaise.

- Je suis désolé, dit-il en tant que Nathan. Il se fait tard et j'ai du chemin... J'aurais été ravi de prendre un verre, cependant.

L'air navré, Nathan s'éclaira soudainement et tira une carte d'une des poches de son blouson, ainsi qu'un stylo, puis écrivit au dos de la carte une série de chiffres. Une fois cela fait, il tendit le carton à Gabriel, lequel le prit par automatisme.

- C'est mon numéro. Peut être nous croiserons nous un autre jour, mais en attendant, si l'envie vous prend de parler un peu, vous pouvez m'appeler...

Sans laisser à Gabriel le temps de se ressaisir ou de réagir, Nathan fit un salut d'adieu et s'enfuit en direction de l'arrêt de bus le plus proche, lequel était tout de même à une bonne trotte.

Shade ne reprit sa forme habituelle qu'une fois arrivé près de chez lui. En chemin, il s'interrogea longuement sur son étrange rencontre et se demanda s'il avait bien fait de lui donner, en guise de support du numéro de Nathan, la carte d'Elysium Corp.

[hrp : Comme tu as pu le constater, je ne peux pas vraiment jouer très régulièrement. Je préfère arrêter là si tu n'y vois pas d'inconvénient, d'autant que je dois poster pour le scénario...Merci pour ce petit RP ^^]

Gabriel avait beau ne pas être quelqu’un de très observateur, l’inquiétude de Nathan ne manqua pas de se faire ressentir. Ainsi donc, il ne pouvait rester. Dommage…
Hop, avant qu’il ait pu réagir, Gabriel se retrouva avec un petit carton entre les mains. Il l’inspecta brièvement, regardant les chiffres inscrits sans les lire vraiment. Le temps qu’il retourne la carte, le photographe s’était enfui. Gabriel lui lança un bref signe de la main, inutile puisque l’autre ne se retournerait pas. Il le regarda tourner au coin d’une ruelle puis reporta son attention sur les numéros qu’il tenait entre ses doigts.

Les fameux numéros s’étaient changés en un logo simple et graphique,
‘Elysium Corp’…
Le nom lui disait quelque chose, il chercha dans sa mémoire avant que la vieille femme ne lui souffle la réponse.
Une entreprise pharmaceutique ? Tient donc. Et pourquoi un jeune photographe en apparente bonne santé aurait une carte comme celle-ci sur lui ?

Gabriel fourra le petit carton dans sa poche de veste et se remit en marche. Son chez-lui l’attendait à quelques rues de là. Il regrettait un peu de ne pas avoir pu discuter avec le jeune homme. Enfin, on ne pouvait rien y faire. Peut-être se croiseraient-ils à nouveau…

Elysium Corp… Il y avait un de leurs buildings dans le centre de Los Angeles.
L’homme remonta son col et découvrit un peu plus loin dans la rue l’entrée de l’immeuble. Ses clés tintèrent dans sa poche. Il n’en aurait certainement pas besoin… La porte devait encore être restée ouverte.

[Merci à toi, j’espère que ça t’a plu. ^^ Bonne continuation pour le scénar’.]